Lentement, mais sûrement, les lignes bougent au sein du Plan stratégique national (PSN), transmis par la France dans le cadre de la nouvelle Politique agricole commune (PAC) 2023-2027. Afin de relever globalement le niveau d'exigence appliqué à la certification « Haute Valeur environnementale » (HVE), intégrée au dispositif de l'écorégime, le ministère de l'Agriculture vient ainsi de proposer des modifications de son cahier des charges.
Une spécialité française qui dérange
Considérée par ses partisans comme un facteur de progrès, cette exception française avait été vertement critiquée pour son manque de pertinence par la Commission européenne, par une partie des agriculteurs français regroupés au sein de la plateforme « Pour une autre PAC », mais également par l'Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri). Cette prise en compte de la certification HVE pour les écorégimes « doit être conditionnée à une révision profonde de son cahier des charges », préconisait le laboratoire d'idées dans une note de mars 2021. Faute de quoi, « c'est l'ensemble du dispositif d'écorégime français qui se trouvera décrédibilisé ». Dans une étude publiée en juin 2021, l'Office français de la biodiversité (OFB) mettait, lui aussi, en doute la capacité de la HVE à sélectionner des exploitations vertueuses et recommandait de réformer ses critères d'éligibilité.
Un référentiel revisité, mais maintenu
Si le gouvernement n'a pas accepté de retirer cette proposition, il a cependant présenté une révision du référentiel décrié aux membres de la Commission nationale de la certification environnementale (CNCE), le 25 mai dernier. Cette nouvelle version supprime l'option B qui prévoyait l'évaluation de l'exploitation en fonction du volume de ses intrants, de ses prairies permanentes et de ses infrastructures agroécologiques (haies, mares, espaces enherbés, bosquets...). Elle conserve en revanche l'option A, consistant à respecter une série d'indicateurs pour quatre thématiques : biodiversité, stratégie phytosanitaire, gestion de la fertilisation et gestion de l'irrigation.
Comme dans l'ancienne version, l'agriculteur devrait totaliser dix points, au minimum, dans chacune de ces thématiques pour certifier son exploitation. Mais les seuils d'attribution de ces points ont été relevés et de nouveaux indicateurs, comme la taille des parcelles et la vie dans le sol, ont été ajoutés. Le nouveau référentiel valoriserait également une couverture des sols plus longue, la culture des légumineuses, les outils de surveillance des attaques de pathogènes, l'apport d'engrais organiques, les produits de biocontrôle et l'absence de recours aux substances classées cancérogènes, mutagènes ou reprotoxiques.
La part du bio encore en suspens
Fin juin, l'OFB devrait communiquer son étude d'impact sur ce référentiel amendé. Trop tard pour le rendu de la deuxième version du PSN... « La Commission européenne n'acceptera peut-être pas ce chèque en blanc, analyse Loïc Madeline. À moins qu'elle ne lâche finalement du lest pour éviter de retarder la mise en œuvre de la nouvelle PAC et de décaler les paiements. Ce que personne ne souhaite. » Mais en termes de protection de l'environnement, de l'eau, des sols, des écosystèmes et de la santé, cette nouvelle mouture ne suffira pas, de toute façon, à mettre au même niveau les performances des exploitations certifiées HVE et agriculture biologique (AB). Or, la première version du PSN, également étrillée par la Commission européenne à ce titre, permet aux uns comme aux autres d'émarger au niveau supérieur de l'écorégime et de bénéficier d'aides équivalentes.
Afin que les rémunérations correspondent à l'ambition environnementale de sa stratégie « De la ferme à la fourchette », la Commission demande expressément à la France de changer de position. Mais où placera-t-elle le curseur ? Quand la FNSEA recommande un écart minime, de quelques euros, la Fnab et la Confédération paysanne réclament, pour leur part, une différenciation significative via la création d'un troisième niveau d'écorégime à hauteur de 145 euros par an et par hectare pour la bio, notamment, cumulable avec un bonus pour la présence d'infrastructures écologiques.
Une conjoncture peu favorable
« La France est le premier pays bénéficiaire de la PAC. Nous devons être exemplaires sur l'ensemble des règles fixées et sur notre ambition environnementale, sans céder à la tentation de nous détourner de l'objectif en temps de crise », plaide Loïc Madeline. Le nouveau ministre de l'Agriculture, Marc Fesneau, acceptera-t-il de revoir sa copie sur ce point ? Et jusqu'où est-il disposé à aller en faveur de la bio ? S'ils misent sur un nouveau ministre « techno » pour promouvoir une véritable différenciation par rapport à la HVE, et permettre d'atteindre 18 % de la surface agricole en bio en 2027, les acteurs du secteur ne disposent d'aucune garantie. « À ce stade, il est difficile d'espérer remplir cet objectif en ayant affaibli les soutiens au bio, notamment les aides au maintien, prévient Loïc Madeline. Pour y arriver, il faut y mettre les moyens, et notamment reconnaître les services environnementaux des agriculteurs en bio. D'autant plus que les prix du conventionnel sont volatils. Ils ont augmenté, du fait de la conjoncture, et se rapprochent maintenant de ceux du bio. » Le gouvernement devrait rendre sa nouvelle copie autour du 20 juin.