Ingénieure urbaniste à l'Ademe
Actu-environnement.com : Avec vos partenaires, le cabinet Chronos et l'Obsoco (observatoire société et consommation), vous avez interrogé des personnes sur leurs aspirations autour de la ville : qu'est-ce qui a motivé cette étude et comment l'avez vous menée ?
Amandine Crambes : Beaucoup de modèles de villes sont proposés aujourd'hui mais ces dernières ne conviennent pas forcément aux habitants. Notre objectif était de comprendre pourquoi, quelles étaient les envies des citoyens et voir si nos missions étaient en corrélation avec les attentes des Français et Françaises. Il est nécessaire de partir des besoins plutôt que d'imposer des solutions techniques.
L'Obsoco et Chronos ont réalisé un questionnaire de 80 questions. L'enquête a ensuite été menée sur un panel de 4.000 personnes entre 18 et 70 ans en France durant l'été 2017. Ils ont également fait une comparaison avec un échantillon de 1.000 personnes dans trois pays européens : Allemagne, Angleterre et Italie.
AE : Quel est le profil de la ville désirée par les Français qui se dessine à travers vos résultats ?
AC : Il y a un problème de corrélation entre les envies et l'aménagement. La ville est perçue (1) , dans beaucoup de réponses, comme un concentré de nuisances, de pollution, du bruit, du monde, etc. mais dans un même temps comme une source de loisirs et de culture. Il y a un rejet fort des grosses villes denses et de la smart city,la ville connectée, surveillée. Les personnes interrogées souhaitent vivre dans des villes qui proposent plus de nature, d'espaces verts ou à proximité de services.
Cela interroge comment, nous urbanistes, ingénieurs, l'Ademe, nous sommes en capacité de proposer des formes en cohérence avec ces aspirations... Outre le bien-être, c'est aussi une question d'urgence d'adaptation aux changements climatiques. Comment même avec l'augmentation de la population, nous réinventons des formes urbaines, faire de la densité mieux acceptée et plus végétalisée que ce soit sur les bâtiments ou les sols ?
AE : Quelles seraient les pistes pour ce type d'urbanisme ?
AC : Je n'ai pas de solutions clef en main, mais nous réfléchissons à des logements mieux adaptés aux usages : moins grands avec des espaces mutualisés dans les immeubles. Les formes des immeubles pourraient également avoir moins d'emprise sur le sol et donner un espace pour la nature. Nous pourrions avoir également un travail sur les matériaux biosourcés, etc.
Cette aspiration à une ville nature va se traduire par une future migration vers le périurbain. Aujourd'hui, ces zones sont un peu délaissées, ce sont de grandes zones commerciales, du pavillonnaire, du tout voiture : il y a un travail à mener sur ces espaces (2) en densifiant de façon douce pour permettre l'accueil de cette population et apporter les aménités.
AE : Un des écueils serait que la ville finisse pas englober le périurbain pour devenir une "megacity" ?
AC : Le coté paradoxal de cette étude, c'est que les citoyens veulent habiter dans le périurbain mais pas complètement dans le petit village isolé rural : disposer des avantages des transports en commun, des services culturels, du bassin de l'emploi, etc. Pour lutter contre l'étalement urbain, nous pouvons introduire une mutualisation des espaces, en gardant une place pour la nature en ville, et en travaillant sur des mobilités différentes, actives, des transports en commun hybrides et du co-voiturage etc. Autre piste : réaliser des lieux d'interfaces entre l'urbain dense et l'urbain peu dense avec des hubs qui proposeraient des bureaux, de l'intermodalité, des services, par exemple de santé etc. pour éviter les distances mais aussi la congestion. Les personnes interrogées se disaient prêtes à changer leurs façons de travailler ou vivre : faire du télétravail, investir des espaces partagés que ce soit les jardins, les espaces publics autogérés, les Fab lab.
AE : Cette conception du péri urbain est-elle accessible ? Les espaces mutualisés ne sont pas encore entrés dans les mentalités...
AC : Effectivement. Si nous créons un bâtiment très performant énergétiquement sans expliquer comment il fonctionne, ses consommations seront aussi mauvaises qu'un autre. C'est la même chose pour les espaces partagés. Nous devrons aider aux changements de comportement de la population. Nous avons notamment publier une brochure grand public (3) disponible dans les espaces info énergie, ou sur internet. Nous travaillons également sur l'appropriation des sujets (4) par les acteurs de la ville. J'y crois sincèrement dans le sens où au niveau économique, ces solutions ne sont pas plus chères.