Pour les pays "mégadivers (1) ", la protection de la biodiversité et des écosystèmes est "une affaire d'Etat", souligne une note, datée du 22 octobre, transmise par l'Ambassadeur du Mexique en France à la commission des affaires européennes de l'Assemblée nationale. Ces pays, au nombre d'une dizaine, sont pour la plupart situés dans les tropiques et concentrent une grande partie de la biodiversité mondiale : ils abritent quelque 70% de la diversité biologique de la planète.
Grâce à ses territoires d'outre-mer, la France n'est pas en reste. En raison des ses industries pharmaceutiques et cosmétiques, elle est elle-même à la fois utilisatrice de ressources génétiques, mais aussi pourvoyeuse de ressources génétiques en provenance de ses départements et collectivités d'outre-mer – particulièrement la Guyane et les îles du Pacifique, mais aussi Mayotte. Ce double statut mérite d'être souligné : c'est une spécificité rare, sinon unique dans l'Europe des Vingt-Sept.
Depuis les années 1980, les opérations d'appropriation privée de richesses naturelles et de connaissances traditionnelles des plantes se sont multipliées, dans un contexte de mondialisation et de déficit de régulation internationale des pratiques commerciales. Ces pratiques impliquent les industries des secteurs chimique, pharmaceutique, agroalimentaire, cosmétique et horticole, qui isolent les gènes, objets de dépôt de brevets, et exploitent commercialement certaines molécules à forte valeur ajoutée. La députée Danielle Auroi, présidente de la Commission des Affaires européennes de l'Assemblée nationale, estime dans son rapport sur la biopiraterie (2) que "l'utilisation sans autorisation de ressources biologiques ou de savoirs ancestraux qui y sont associés spolie les populations indigènes de leurs droits sur un patrimoine collectif".
Procédure législative européenne en cours
L'enjeu du protocole de Nagoya (Japon) sur "l'accès et le partage des avantages" (APA) tirés de la biodiversité est de subordonner l'utilisation des ressources génétiques à trois conditions : l'obtention du consentement du pays fournisseur préalable à toute démarche de prospection et de collecte, le versement de contreparties, et le réinvestissement d'une partie des bénéfices dans la conservation de la biodiversité. A Nagoya, la biopiraterie est devenue un objet juridique, conformément à la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948, dont l'article 27 stipule que "chacun a droit à la protection des intérêts moraux et matériels découlant de toute production scientifique, littéraire ou artistique dont il est l'auteur".
Le Protocole de Nagoya a été ratifié par huit pays : le Gabon, la Jordanie, le Rwanda, le Laos, le Mexique, les Seychelles, et, ces dernières semaines, l'Inde et Fidji. Du côté européen, la Commission a présenté, le 25 octobre dernier, deux textes tendant à la mise en œuvre du protocole de Nagoya. D'après la Commission européenne, les négociations communautaires pourraient durer environ dix-huit mois avant que les textes ne soient adoptés. Le 25 octobre 2012, au lendemain de sa nomination, la rapporteure au fond sur les deux textes, l'eurodéputée Sandrine Bélier (Verts/ALE) a insisté sur la responsabilité pesant sur l'Union européenne : "Avec le protocole de Nagoya, nous pouvons mettre fin à la biopiraterie, adopter un système plus équitable favorable aux populations détentrices des ressources naturelles et à la préservation de la biodiversité. (…) Notre défi tient au temps, à l'efficacité et à la bonne volonté de tous pour que l'Union européenne participe à la dynamique internationale de ratification du protocole, pour une mise en application avant le prochain sommet mondial de la biodiversité en 2014".
Parallèlement à ce débat en cours sur les échéances de ratification, l'eurodéputée Catherine Grèze (Verts/ALE) a présenté un rapport concernant les droits de propriété intellectuelle sur les ressources génétiques et les savoirs traditionnels qui y sont associés devant la Commission du développement du Parlement européen. Ce rapport met en exergue leurs conséquences dramatiques dans les pays en développement et la nécessité de rendre plus cohérent le cadre juridique international qui les entourent. Dans un communiqué du 6 décembre, Mme Grèze se félicite que ce rapport ait été adopté : "Les députés européens ont fait entendre trois des revendications clefs des pays en développement : l'obligation de divulgation de la source et de l'origine de ressources génétiques et des savoirs traditionnels par les demandeurs de brevets, la preuve d'un consentement en connaissance de cause et la preuve d'un partage juste et équitable des avantages".
Flou sur les "bonnes pratiques"
A l'Assemblée nationale, la Commission des Affaires européennes a voté le rapport Auroi à l'unanimité. Celui-ci émet des doutes sur l'efficacité des "bonnes pratiques" auxquelles les utilisateurs européens de ressources génétiques sont invités par la proposition de la Commission : "Cette disposition, relativement floue, devrait s'avérer très peu contraignante, d'autant que les utilisateurs auront le loisir de proposer eux-mêmes le corpus de bonnes pratiques auxquelles ils devront obéir", souligne la présidente de la Commission des Affaires européennes de l'Assemblée, qui veut éviter que la législation française en la matière soit, au bout du compte, plus laxiste que les prescriptions du protocole. Son rapport préconise une série de recommandations : renforcement des contrôles de traçabilité sur la manière dont les ressources génétiques sont collectées dans les pays et territoires concernés, expérimentations dans les territoires d'outre-mer visant à mieux associer les communautés autochtones, vigilance de l'Union européenne pour qu'aucun monopole de droit ne soit créé sur les espèces biologiques, réflexion élargie, sous l'égide de l'Office européen des brevets, sur les mesures à prendre pour mieux faire respecter les droits de propriété intellectuelle des communautés et groupes autochtones.
Lors de la conférence de presse de présentation de son rapport, Danielle Auroi s'est étonnée que la Commission européenne ait enjoint aux Etats-membres de ne pas procéder à la ratification du protocole avant l'Union européenne, alors que plusieurs Etats-membres ont pourtant manifesté le souhait de ratifier rapidement le protocole. Mme Auroi a questionné la ministre de l'Ecologie sur ce point. Mme Batho a répondu à la rapporteure, le 9 octobre, lors d'une question d'actualité : "La France pourra le ratifier dès lors que l'Union européenne l'aura elle-même ratifié. Nous nous sommes engagés à ce que ce soit chose faite d'ici 2014".