Vers des indicateurs multicritères applicables aux micropolluants
Les bio-indicateurs sont en effet des organismes ou des ensembles d'organismes qui révèlent par leur présence, leur absence ou leur comportement démographiques, les caractéristiques et l'évolution d'un milieu. En France, le Cemagref s'intéresse à ces questions depuis plus de 20 ans et élabore des méthodologies d'analyses ou « indices biotiques » permettant d'évaluer tout une gamme d'impacts : contamination toxique, modifications physiques de l'habitat, variation du régime hydraulique, eutrophisation, etc. Les invertébrés et les diatomées sont des exemples d'indicateurs : une analyse précise des populations et des espèces de diatomées présentes dans un cours d'eau peut mettre en évidence des modifications de pH ou de salinité tandis qu'une grande richesse en invertébrés de taille moyenne comprise entre 5 mm et 20 mm caractérise une rivière peu impactée. Depuis l'entrée en vigueur de la directive cadre sur l'eau, de nouveaux indices sont développés comme l'indice poisson : l'observation d'un déséquilibre des populations piscicoles en faveur des poissons omnivores peut caractériser un état écologique dégradé. Les travaux en cours portent également sur le développement d'une nouvelle génération d'indices biologiques plus fonctionnels et répondant à tous les types d'impact : pollutions organiques, toxiques, barrages, aménagements, etc.
Il devient également nécessaire de développer des indicateurs sensibles à la contamination du milieu par les toxiques. Des milliers de molécules sont concernés : pesticides, médicaments, détergents, métaux lourds, etc. Comme la plupart de ces substances ont des effets qui ne seront détectables à l'échelle des populations que sur le long terme, en particulier aux faibles concentrations d'exposition présentes dans les milieux, une approche consiste à développer des biomarqueurs, qui mesurent les impacts dans les cellules et les tissus d'organismes « sentinelles » présents dans le milieu contaminé. On veut aujourd'hui détecter in situ les impacts des micropolluants même si le lien entre les mesures physico-chimiques dans le milieu et les effets sur les organismes est difficile à établir, explique Catherine Goulay, Ecotoxicologue au Cemagref. Outre leur sensibilité aux polluants, le choix des espèces indicatrices répond à différents critères dont leur présence dans tous les types de milieux, leur abondance et leur position clé dans l'écosystème. Les poissons et les diatomées sont là encore sujets de nombreuses recherches. On prépare une panoplie d'indices pour alimenter le réseau de surveillance DCE qui a commencé à se mettre en place en 2007 et sera totalement opérationnel fin 2009, précise Jean-Gabriel Wasson, scientifique au Cemagref et référent « DCE » au Ministère de l'écologie.
État d'avancement au regard de la directive cadre sur l'eau
Ces indices ne révèlent que l'état de santé du milieu aquatique à un moment donné. Pour pouvoir qualifier cet état de santé de bon ou mauvais, il est nécessaire de définir un état de référence. Cela implique d'imaginer quels seraient les peuplements aquatiques dans des milieux non ou très peu impactés par l'Homme. Les chercheurs ont donc développé des modèles statistiques permettant à partir des données du milieu de définir cet état de référence. En France, cette étape s'est terminée en 2004. À partir des travaux entrepris dans les années 90 sur le bassin de la Loire, nous avons défini des hydro-écorégions qui servent de base à la typologie des rivières, explique Jean-Gabriel Wasson. La comparaison entre cet état de référence et les résultats obtenus sur le terrain a permis de voir à quel point les milieux aquatiques français étaient dégradés et surtout d'évaluer la probabilité qu'ils redeviennent de bonne qualité. Selon les résultats publiés en 2005, 25% des masses d'eau sont qualifiées « en bon état » ou pourront y revenir d'ici à 2015, 25% en « mauvais état » et pour les masses d'eau restantes, l'avenir est incertain.
Depuis ces constatations, les scientifiques du Cemagref cherchent à préciser la situation et surtout à identifier les causes de cette dégradation afin de hiérarchiser les actions à mener en vue d'atteindre le bon état écologique. À côté des actions en cours pour intensifier la lutte contre la pollution, nous proposons la restauration des lits [de rivières]trop artificialisés et la renaturation des « corridors rivulaires* » qui constituent à la fois une protection et un facteur très positif pour la biodiversité, cite en exemple Jean-Gabriel Wasson. Les chercheurs travaillent également en étroite collaboration avec les organismes de recherche des autres Etats membres pour mettre au point des outils communs utilisables à l'échelle de l'Europe même si la notion de bon état écologique n'a pas la même valeur d'un Etat à un autre.
Tous ces travaux doivent aboutir à l'élaboration d'ici 2009 d'un plan de gestion dans chaque Etat membre qui fixera notamment les objectifs à atteindre pour 2015.
Au regard des travaux qui restent à mener, Jean-Gabriel Wasson estime que la France n'atteindra pas ses objectifs mais pour lui l'essentiel est ailleurs : les enjeux politiques induits par cette directive sont très forts et les objectifs ont enclenché une dynamique. Alors que le développement d'indicateurs écologiques constituait une discipline plutôt ringarde dans les années 90, elle est aujourd'hui au cœur des débats.
*Les corridors rivulaires sont composés par les bandes de terrain situées le long des cours d'eau. Le terme « trame bleue » évoqué lors du Grenelle de l'environnement fait référence à ce principe.