"Le nombre de contentieux liés à l'activité de la Commission de régulation de l'énergie (CRE) est en forte croissance", constate la CRE. Mais, bien souvent, ces recours ne sont pas dirigés contre ses décisions, explique-t-elle, soulignant que nombre d'entre eux "concernent des décisions prises par le Gouvernement après avis de la CRE". "L'action de la CRE s'exerce de façon croissante sous le contrôle du juge", résume l'autorité administrative indépendante à l'occasion de la publication de son rapport annuel (1) .
Ce phénomène "est pour partie inhérent au processus d'ouverture des marchés", souligne la CRE, mais cela n'explique pas la forte croissance du recours au juge constatée depuis quelques années. "Une certaine instabilité réglementaire dans l'encadrement des tarifs de vente de gaz et d'électricité et les dispositifs de soutien au développement des énergies renouvelables" explique aussi cette judiciarisation.
Les missions premières de la CRE pénalisées
"Plus de 100 recours [contre les décisions de la CRE] ont été enregistrés devant le Conseil d'Etat entre 2007 et 2013, et 80 devant les tribunaux administratifs depuis [2010]", constate la CRE. Les demandes de remboursement de la contribution au service public de l'électricité (CSPE), à l'origine de plus 50 recours en 2008, 31 en 2013 et 93 au premier trimestre 2014, ainsi que les recours des candidats aux appels d'offres photovoltaïques dont les dossiers ont été rejetés comme incomplets par la CRE, figurent en bonne place. Mais ces recours, déplore l'autorité, ne relèvent pas de ses missions de contrôle ou de régulation.
En revanche, ceux liés aux barèmes de raccordement ou aux effacements de consommation relèvent de ses missions de régulation, mais ils expliquent "dans une moindre mesure" la progression des contentieux.
Cette situation "[reflète] la part croissante prise dans l'activité de la CRE par les missions ne relevant pas du contrôle ni de la régulation au détriment de ses missions premières, dans un contexte de forte contrainte budgétaire", déplore l'autorité administrative indépendante.
Si le nombre de recours progresse sensiblement, "le nombre d'annulations de décisions de la CRE prononcées à la suite de ces procédures est faible : 11 depuis 2007, soit environ 10% par rapport aux recours". L'autorité administrative indépendante fait état de trois jugements du tribunal administratif de Paris annulant des décisions de rejet de candidatures incomplètes dans le cadre de l'appel d'offres photovoltaïques pour les installations de plus de 250 kilowatts crête (kWc). Elle mentionne aussi cinq annulations de décisions d'approbation des barèmes de raccordement des gestionnaires de réseaux, mais elles "découlent de l'illégalité de l'arrêté ministériel ayant donné à la CRE la compétence d'approuver ces barèmes".
Le Gouvernement persiste à vouloir réguler les tarifs
Le moratoire PV met à contribution le Cordis
La CRE revient aussi sur les recours portés devant le Comité de règlement des différends et des sanctions Cordis chargé de régler les différends techniques et financiers entre les gestionnaires des réseaux publics et leurs utilisateurs.
"L'activité du Cordis a quant à elle été affectée par le moratoire photovoltaïque de 2010", explique la CRE, évoquant des "contentieux en série" ainsi qu'une "explosion du nombre de saisines" en 2011.
Concrètement, l'autorité indique que "le Cordis a rendu 225 décisions entre 2011 et 2013" et que "depuis 2011, 90 recours contre ces décisions ont été présentés devant la cour d'appel de Paris, qui, sauf dans un cas, n'a prononcé que des décisions de rejet".
En l'occurrence, les tarifs règlementés du gaz ont donné lieu à 2 ordonnances de suspension en référé et à 7 annulations, explique la CRE. Elle rappelle que ce sont des décisions politiques, en l'occurrence les gels et le plafonnement des augmentations des tarifs réglementés de vente de gaz décidés par le Gouvernement, qui "ont conduit" à ces jugements. Les textes en cause (2) avaient été validés par l'exécutif, bien qu'ils "[aient] tous donné lieu à des avis défavorables de la CRE". De même, le maintien d'une différenciation entre les tarifs résidentiels et professionnels "critiqué par la CRE" a donné lieu à trois annulations (3) . La fixation des tarifs d'utilisation du réseau électrique (le Turpe) a aussi donné lieu à une annulation par le Conseil d'Etat en novembre 2013.
Ces décisions "illustrent l'importance et l'approfondissement du contrôle du juge en matière de régulation de l'énergie", analyse la CRE, précisant que "bien qu'il s'agisse d'un contrôle restreint, c'est-à-dire d'un contrôle limité à l'erreur de droit et à l'erreur manifeste d'appréciation, il encadre strictement les décisions tarifaires". En effet, "[cette] jurisprudence a contribué à définir le cadre d'analyse utilisé par la CRE pour élaborer ses avis sur ces tarifs [et] de façon réciproque, le Conseil d'Etat s'appuie sur les avis de la CRE pour se prononcer sur la légalité des arrêtés tarifaires".
En conséquence, alors que le cadre législatif et réglementaire "se bornait initialement à poser la règle générale de couverture des coûts de l'opérateur", le Conseil l'a précisé en fixant trois règles. Tout d'abord, les arrêtés tarifaires doivent "au moins" assurer la couverture des coûts moyens et complets des opérateurs. Ensuite, l'exécutif doit tenir compte de l'évolution de ces coûts sur l'année à venir. Enfin, ils doivent ajuster les tarifs dès lors qu'"un écart significatif s'est produit entre tarifs et coûts, du fait d'une sous-évaluation des tarifs, au moins au cours de l'année écoulée". Pour l'électricité, le Conseil d'Etat est aussi attentif à la convergence.
L'autorité constate que "la faculté de modulation en fonction de la situation économique générale disparaît". L'Etat a l'obligation d'appliquer la formule tarifaire en vigueur et de la modifier si elle ne reflète plus correctement les coûts. Dans le même temps, "la tentation du Gouvernement de réguler les tarifs a persisté, ce qui a accentué les contentieux", constate Philippe Martin, président de la section des travaux publics du Conseil d'Etat.
Enfin, à noter que la CRE indique ne pas avoir une vision précise de l'évolution des recours contre les décisions ministérielles désignant les lauréats des appels d'offres en matière d'énergies renouvelables. En effet, l'Etat ne les lui communique pas systématiquement.