« La planète aura les yeux tournés vers la cité phocéenne lors de cette semaine décisive. Notre objectif commun est d'inscrire la nature au sommet des priorités internationales - car nos destins sont intrinsèquement liés, planète, climat, nature et communautés humaines ». Telle est la promesse qu'affiche Emmanuel Macron à la veille de l'ouverture du Congrès mondial de la nature de l'UICN qui se tient du 3 au 11 septembre à Marseille.
Mais de nombreux acteurs craignent que l'ambition ne soit pas à la hauteur de l'urgence écologique et que la mise en œuvre des objectifs le soit encore moins. Tandis que d'autres remettent en cause l'approche même de la protection de la biodiversité retenue jusqu'ici. Les faits semblent ne pas leur donner tort.
Rehausser le niveau d'ambition
Les indicateurs de la biodiversité mondiale sont au rouge vif. Les experts internationaux réunis au sein de l'IPBES ont montré qu'un million d'espèces étaient menacées d'extinction et que le déclin de la biodiversité était général sur la planète. Aucun des objectifs fixés par la communauté internationale dans le cadre de la convention sur la diversité biologique (CDB) en 2010 n'a été atteint. Le principal enjeu du congrès de Marseille est de préparer la nouvelle stratégie mondiale qui doit être adoptée lors de la quinzième conférence des États parties (COP 15) à cette convention. Une conférence prévue en deux temps : lors d'une réunion virtuelle début octobre, puis en avril 2022 à Kunming en Chine.
Mais certains craignent que ces appels ne soient pas suivis d'effets « Si le président porte en apparence des positions volontaristes sur le climat et la biodiversité, la réalité est tout autre : tant à domicile que dans les négociations internationales, la France est loin de porter et de mettre en œuvre des mesures suffisantes pour freiner la crise de la biodiversité », estime Jean-François Julliard, directeur général de Greenpeace France, dans une tribune publiée dans Le Monde.
Connecter biodiversité et climat
Outre la fixation du nouvel agenda international, deux autres messages devraient être portés par le chef de l'État : celui d'une relance verte et celui de la nécessité de connecter les enjeux de la biodiversité et du climat. Le congrès marseillais doit aussi permettre de faire le point sur les coalitions lancées en janvier dernier par le président de la République lors du One Planet Summit, quatrième édition d'un sommet lancé en 2017 pour, à l'origine, réorienter la finance vers les projets respectueux du climat.
L'initiative lancée par la France, et co-pilotée par le Costa-Rica, de protéger 30 % des espaces marins et terrestres en 2030 réunit désormais 66 pays membres. « Le président de la République porte cette priorité diplomatique », assure l'Élysée. Il a également l'intention d'appuyer la création d'aires marines protégées en Antarctique, mais aussi les négociations d'un traité sur la haut-mer et la signature d'un traité contraignant sur les plastiques. Pour ce qui est de la Méditerranée, la coalition pour une mer exemplaire rassemble désormais huit pays, vantent les conseillers du président.
« C'est un test de crédibilité pour le président Macron, qui devra soutenir publiquement le moratoire sur l'extraction minière en eaux profondes s'il veut rester cohérent avec ses discours », prévient toutefois François Chartier, chargé de campagne Océans chez Greenpeace France « Sans moratoire, les premières explorations pourraient démarrer en 2022 et détruire des écosystèmes déterminants dans la lutte contre le changement climatique et pour la préservation de la biodiversité marine », explique le représentant de l'ONG.
Le chef de l'État est aussi attendu au tournant sur la protection des mammifères marins. Trois associations, France Nature Environnement (FNE), la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO) et Seas at Risk, réclament dans un communiqué commun de mettre fin à « l'hécatombe de dauphins capturés par milliers dans les filets de pêche du golfe de Gascogne ». « Face à une érosion sans précédent de la biodiversité, il serait à la fois incohérent et insupportable que la France accueille le congrès mondial de la nature et en même temps refuse d'écouter les scientifiques et laisse le massacre de dauphins se poursuivre sur son propre espace marin », prévient Élodie Martinie-Cousty, pilote du réseau Océans, mer et littoraux de FNE.
« Déforestation effrénée »
Le congrès est aussi l'occasion de faire un point sur l'Alliance pour la préservation des forêts tropicales, qui réunit 31 États et qui « a pris à bras le corps le sujet des incendies », assure-t-on dans l'entourage du chef de l'État.
« Alors qu'Emmanuel Macron s'était engagé lors du G7 en 2019 à "répondre à l'appel de la forêt qui brûle", la déforestation se poursuit à un rythme effréné et 3 millions de tonnes de soja continuent d'entrer sur le territoire français chaque année sans aucune garantie qu'il n'a pas contribué à la déforestation », pointe de son côté Clara Jamart, responsable des campagnes Forêt, agriculture et alimentation chez Greenpeace France. L'ONG demande de rendre contraignante la stratégie nationale de lutte contre la déforestation importée (SNDI), adoptée en novembre 2018 mais, depuis, « restée lettre morte ».
En matière d'agriculture, Maud Lelièvre, présidente française du comité français de l'UICN, voit dans ce congrès l'opportunité de s'interroger sur les modes de culture de demain. Rien n'est toutefois à attendre au plan national car le président ne souhaite pas remettre en cause les règles actuelles. Emmanuel Macron va tenter en revanche d'accélérer l'initiative de la Grande muraille verte, qui vise à restaurer 100 millions d'hectares de terres dégradées dans la bande soudano-sahélienne. Une initiative vouée à l'échec selon Guillaume Blanc, universitaire qui dénonce un colonialisme vert à travers les politiques menées par les institutions internationales.
L'un des grands enjeux du congrès est aussi la prévention des pandémies, estime Maud Lelièvre, alors que la crise la Covid-19 continue à ébranler le monde. La France annonce qu'elle soumettra une motion urgente sur la prévention des pandémies par l'approche One Health. L'initiative Prezode, lancée lors de la dernière édition du One Planet Summit, vise à prévenir les risques d'émergence zoonotique. Elle réunit « aujourd'hui plus de 1 000 chercheurs issus de près de 50 pays et allie recherche, actions opérationnelles et approches participatives innovantes associant les communautés », se félicite le Gouvernement.
Retour de la biodiversité en ville ?
En tout état de cause, il est toujours plus facile pour un dirigeant de porter la bonne parole internationale plutôt que de mettre en place des mesures contraignantes dans son propre pays. Alors que le Gouvernement vante le « retour de la nature en ville » dans le dossier de presse du congrès, dans les faits, on reste encore loin du compte. Dernier exemple en date : la destruction des jardins ouvriers d'Aubervilliers (Seine-Saint-Denis), en vue des Jeux olympiques de 2024, lancée ce jeudi 2 septembre à la veille de l'ouverture du congrès marseillais.
« À l'heure même où les canicules se multiplient, et où l'Europe est dévastée par d'extrêmes inondations causées par l'artificialisation des sols et le dérèglement climatique, la destruction de cet espace vert, qui réduit les inondations et crée des puits de fraîcheur, est complètement déconnecté de l'urgence écologique et sociale actuelle », s'indigne l'ONG Youth for Climate France.