C'est le lot d'une filière industrielle en émergence. Certains acteurs jettent l'éponge, d'autres passent une nouvelle étape, souvent nombreuses avant la commercialisation. L'hydrolien n'échappe pas à la règle. Tout comme Alstom ou Siemens, Naval Energies quitte le navire mais la filière entend bien continuer à avancer. Dans cette course d'endurance, les plus gros ne sont pas forcément les plus forts.
Naval Energies : trop vite, trop tôt ?
L'abandon de Naval Energies peut paraître étonnant, car il intervient 45 jours après l'inauguration de son usine d'hydroliennes à Cherbourg. Parmi ceux qui ont arrêté leur développement dans ce secteur, il est celui qui est allé le plus loin. Un peu trop vite peut-être. "Les investissements ont été décidés en 2016, suite aux annonces du gouvernement précédent qui avait promis le lancement imminent de l'appel d'offres commercial", explique le PDG Laurent Schneider Maunoury. "Nous avons fait les investissements nécessaires pour nos clients, notamment pour le projet Normandie Hydro, au Raz Blanchard".
Les sept premières hydroliennes de l'usine de Cherbourg étaient destinées à ce projet porté par EDF EN. La France comptait le subventionner tout comme la seconde ferme pilote sélectionnée par l'Etat en 2014, celle de l'alliance Engie/Alstom également au Raz Blanchard, abandonnée depuis. La ferme pilote d'EDF EN a d'ailleurs reçu le feu vert de la Commission européenne le 26 juillet au lendemain de l'annonce de Naval Energies. Ça n'aura pas suffi. Naval Energies comptait surtout sur l'appel d'offres commercial français pour remplir ses carnets de commandes. Mais le ministre de la Transition ecologique Nicolas Hulot a préféré lancer de nouvelles études complémentaires avant de se décider.
La prudence de l'Etat mise à mal
La prudence française n'est pas un cas isolé : "Le Royaume-Uni s'oriente vers des appels d'offres technologiquement neutres et a décidé de ne pas subventionner le projet d'exploitation des marées Swansea Tidal Lagoon. Le Chili veut une énergie la moins chère possible. En France, il n'y aura pas d'appels d'offres commerciaux dans la prochaine PPE". Les signaux négatifs perçus par Laurent Schneider Maunoury sont nombreux. "Le marché des ENR a fortement évolué ces dernières années. L'hydrolien ne peut plus rivaliser avec le solaire et l'éolien. Nous estimons, qu'au mieux, nous pourrons descendre à 150 euros du MWh pour l'hydrolien, alors que l'éolien est déjà en dessous des 80 euros par MWh".
Les Etats ne veulent plus subventionner chèrement les énergies renouvelables. Mais les grands industriels ont besoin d'un marché de masse pour justifier leurs développements et faire baisser leurs coûts. Naval Energies y a cru. Tout comme de nombreux acteurs locaux qui ont investi de l'argent public dans cette filière. Aujourd'hui, la colère et l'incompréhension dominent. "Cette décision illustre une fois de plus l'incapacité de l'Etat à porter dans la durée une stratégie industrielle", regrettent les élus de la Région Normandie. "Au lieu d'une stratégie industrielle, au lieu d'une politique publique nationale volontariste dans le renouvelable, le gouvernement joue au Monopoly, le gouvernement a la vue courte", estime Sébastien Jumel, député (gauche républicaine) de Seine-Maritime.
Une maturité industrielle encore à prouver
Mais la filière hydrolienne est-elle prête ? Pas tout à fait. Les industriels ont, jusque-là, cherché à développer des hydroliennes adaptées aux zones où les courants sont les plus forts. Ce choix interroge a posteriori Bertrand Alessandrini, directeur du développement à l'Ecole Centrale Nantes spécialisée dans les énergies marines : "C'est comme si nous avions décidé de concevoir les éoliennes pour les zones à cyclone. C'est un choix qui s'avère discutable aujourd'hui car les développeurs se rendent compte de la complexité que cela engendre pour installer et maintenir ces dispositifs. Dans ce domaine très innovant, la prise de risque reste cependant indispensable".
A cela s'ajoute un marché très restreint car peu d'endroits dans le monde présentent de telles conditions de courant. Pour Sabella, un autre constructeur d'éoliennes marines, tout n'est pas encore au point : "La filière doit encore s'éprouver avant les parcs commerciaux. Il faut garantir l'innocuité environnementale, l'acceptabilité sociale, la fiabilité de la production et la maintenabilité. Les petits projets sont idéals pour se faire la main", explique Jean-François Daviau, président de Sabella, qui se satisfait que l'Etat n'aille pas trop vite. Ce constructeur va ré-immerger en septembre une de ses hydroliennes au Fromveur près de l'île de Ouessant (Finistère). Plusieurs autres seront immergées en 2021 dans le cadre du projet Phares porté par Akuo Energy. Pour l'instant, ses hydroliennes sont construites une par une selon le projet. Mais l'entrepreneur prévoit lui aussi son usine à une échéance plus lointaine, en 2025.
Une filière qui reste foisonnante
A l'image de Sabella, d'autres acteurs comme Hydroquest restent dans la course et croient encore au potentiel de l'hydrolien. "L'hydrolien a de nombreux atouts. Au fond de l'eau, il est invisible et les courants sont prédictibles dans n'importe quel lieu du monde", rappelle Bertrand Alessandrini, de l'Ecole Centrale Nantes. D'autres marchés, celui du fluvial ou celui des courants marins plus faibles et permanents comme le Gulf stream, sont encore à conquérir.
Hydroquest va déployer une ferme fluviale d'une quarantaine d'hydroliennes (2 MW au total) sur le Rhône, à l'aval du barrage de Génissiat (Ain). Elle teste également, pour un an, une technologie à flux transverse, dotée de quatre turbines pour une puissance totale de 80 à 100 kW, sur le site expérimental Seeneoh, à Bordeaux (Gironde). "Nous portons le projet d'une ferme pilote à Paimpol-Bréhat. On a tous les ingrédients pour réussir. J'imagine une phase commerciale d'ici quatre ans", expliquait à Actu-environnement, il y a un an, Jean-François Simon, PDG d'Hydroquest. "Les technologies sont diverses et elles le resteront au vu des milieux différents qui sont ciblés. Le succès ne sera pas lié à une technologie ou un site. Il y aura de multiples solutions commerciales liées à des marchés de niche", analysait également Jean-Philippe Pagot, directeur Environnement Maritime d'EDF Energies nouvelles. Tout est loin d'être perdu.