Comme dit le dicton : « L'avenir appartient à ceux qui se lèvent tôt. » Alors quid de l'avenir énergétique et climatique de la France ? En novembre 2019, la promulgation de la loi énergie-climat (LEC) fixait une échéance au 1er juillet 2023 pour y répondre. Mais le Gouvernement n'a, depuis, pas arrêté de repousser son obligation de trancher. Comme adhérant à l'adage « Mieux vaut tard que jamais », dont l'application gagne en dangerosité au rythme du réchauffement climatique. Et, cerise sur le gâteau, empruntant cette fois à l'expression « C'est mieux que rien », il délaisse justement le volet climat.
Récit d'un retard
Une concertation nationale sur le mix énergétique s'est d'abord déroulée dans cette optique entre octobre 2022 et février 2023. En retard sur ce dossier, la Première ministre, Élisabeth Borne, annonçait, le 26 avril, reporter la présentation d'un premier projet de loi de programmation quinquennale énergie-climat (LPEC) en résultant « à l'automne ». La publication des nouveaux projets de Programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE3) et de la Stratégie nationale bas carbone (SNBC3), les deux principaux documents associés, se montreraient en juin. Deux promesses non tenues.
Il aura fallu attendre la fin septembre, ne serait-ce que pour connaître les conclusions des sept groupes de travail, constitués au printemps par le ministère de la Transition énergétique en préparation de la PPE3. L'horizon semblait enfin s'être éclairci. Puis, le 3 novembre, s'exprimant à l'antenne de France Info, la ministre Agnès Pannier-Runacher assurait qu'elle présenterait les projets de LPEC et de PPE3 « dans les prochaines semaines » et « probablement plutôt (en) fin d'année ». Échéance finalement reportée, à nouveau, douze jours plus tard.
L'énergie avant tout
Si le flou autour du calendrier s'éclaircit, ce n'est pas encore tout à fait le cas du brouillard entourant le contenu de cette Stratégie française énergie-climat (Sfec), au-delà des scénarios déjà envisagés par le Secrétariat général à la planification écologique (SGPE). Invités à en débattre à l'Assemblée nationale par l'association professionnelle Équilibre des énergies (Eden), députés et parlementaires de divers bords s'entendaient tous pour avouer leur ignorance à ce sujet. « Nous ne savons pas ce qu'il y a dans cette loi », maintenait par exemple Henri Alfandari, député Horizons, partageant le constat de Bruno Millienne, député Modem, ou encore de la députée socialiste, Anna Pic.
Une ignorance manifeste en dépit de la clarté de la prescription de la loi LEC de 2019. Son article 2 a en effet créé l'article L100-1 A du code de l'énergie, stipulant la présentation « avant le 1er juillet 2023, puis tous les cinq ans » d'une loi fixant « les priorités d'action de la politique énergétique nationale pour répondre à l'urgence écologique et climatique » et déterminant les objectifs de réduction des gaz à effet de serre sur trois périodes successives de cinq ans, de réduction de la consommation énergétique finale, de développement des énergies renouvelables, de diversification du mix électrique, de rénovation énergétique des bâtiments et d'autonomie énergétique des départements d'outre-mer pour deux périodes successives de cinq ans. Le tout en respectant par ailleurs une obligation européenne, prévue dans un règlement de décembre 2018, d'établir un plan national intégré en matière d'énergie et de climat (Pniec). Lequel vient tout juste d'être « remonté au niveau européen », a signalé Agnès Pannier-Runacher, et devrait être rendu public.
Qu'en sera-t-il de la copie qui sera donc rendue au Parlement avec au moins six mois de retard sur l'échéance législative ? Là encore, il a fallu attendre l'audition de la ministre, ce mercredi 15 novembre, pour en connaître les grandes lignes. La LPEC se concentrera uniquement sur la « logique de production énergétique » et comprendra, en cela, « des objectifs à atteindre de production d'énergie bas carbone, des éléments autour de la protection du consommateur et potentiellement de la régulation de notre système tarifaire » – en écho aux accords récents sur la réforme du marché européen de l'électricité, d'une part, et sur le futur prix de l'électricité nucléaire (surnommé post-Arenh, pour accès régulé à l'électricité nucléaire historique) convenu avec EDF, d'autre part. Traduction : rien, a priori, sur le climat ou sur la sobriété énergétique. Un nouveau « saucissonnage » que craignait la députée Anna Pic, citant les lois d'accélération des énergies renouvelables et du nucléaire et la loi Industrie verte comme de précédents exemples.
Vers un nouveau rendez-vous manqué ?
« Fixer les objectifs climatiques, c'est le sujet qui pourrait faire le plus débat au Parlement, quelque chose de suffisamment large pour rendre difficile la formation d'une majorité, décrypte Anne Bringault, directrice des programmes du Réseau Action Climat (RAC). Mais sans les mesures sectorielles nécessaires pour appliquer la Stratégie nationale bas carbone (SNBC) et faire baisser les émissions, ce type de loi ne nous fera pas changer de braquet dans la planification écologique. Le SGPE avait pourtant souligné lui-même que parmi les mesures recommandées pour y parvenir, plus de la moitié devaient être nouvelles. » D'autant que les options manquent dans le calendrier législatif pour compenser ce manque : seule une loi d'orientation agricole est en cours d'élaboration. « Il faudrait lui ajouter une loi sur la rénovation, une loi sur les transports ou encore plus de mesures réglementaires et financières. » Même la SNBC3 et le Plan national d'adaptation au changement climatique (Pnacc), pourtant parties intégrantes de ce paquet à l'origine, ne donnent plus signe de vie.
La situation est la même sur tout ce qui concerne le choix et la mise en œuvre d'une trajectoire de consommation énergétique, délaissés également. « La programmation de la production énergétique est évidemment le plus important pour nous, témoigne Jules Nyssen, président du Syndicat des énergies renouvelables (SER). Mais les objectifs de consommation énergétique ou d'efficacité énergétique le sont tout autant parce qu'ils influent sur le changement des usages, comme massifier la rénovation énergétique ou le passage du véhicule thermique à l'électrique. Mais en ce qui concerne, par exemple, les questions du trafic aérien ou du transport maritime, les clivages politiques sont encore trop nombreux. Plus qu'un texte de loi, l'enjeu est d'arrêter une vision : il nous faut un récit commun sur lequel s'appuyer pour la décennie à venir. »