Les émissions de gaz à effet de serre du transport maritime ne cessent d'augmenter. Elles représentent aujourd'hui 3% des émissions mondiales annuelles, soit l'équivalent des émissions totales de l'Allemagne. En 2020, elles atteindront près de 1.000 millions de tonnes de CO2, soit plus du double que leur niveau de 1990. En 2050, elles représenteront, à ce rythme, 17% des émissions globales de CO2. La navigation internationale transporte environ 90% du commerce mondial.
Pourtant, le transport maritime est jusqu'à présent soustrait aux efforts de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Le texte adopté à l'issue de la 72ème session du Comité de la protection du milieu marin de l'Organisation maritime internationale (OMI), qui s'est tenue à Londres du 9 au 13 avril, ouvre une brèche dans l'immobilisme du secteur. Il propose une réduction d' ''au moins 50%'' d'ici à 2050 (par rapport à 2008) et fixe à 2023 la date butoir de sa stratégie révisée en matière d'émissions de CO2. Une perspective minimaliste en regard des objectifs fixés par l'Accord de Paris, mais une première pour cette industrie jusqu'à présent presque invisible pour le grand public.
Carburant hautement polluant
Les navires de haute mer fonctionnent au mazout, rebut résiduel du processus de raffinage, vendu à prix réduit par rapport au pétrole brut utilisé pour le produire. Ce carburant dégage 3.500 fois plus de soufre que le diesel utilisé par les véhicules routiers en Europe et il émet davantage de carbone. L'OCDE propose de remplacer à moyen terme les carburants actuels (1) par des biocarburants, de l'hydrogène, de l'ammoniaque et de développer la navigation à voile. Le gaz naturel liquéfié fournit une alternative à court terme.
En outre, une utilisation plus efficiente du carburant des navires permettrait un potentiel de réduction des consommations de 55%, une marge non négligeable. Réduction de la vitesse, revêtement de la coque, récupération de la chaleur perdue, optimisation de l'enveloppe et du ballast, polissage de l'hélice, réglage du moteur principal, mise à niveau du pilote automatique sont autant de mesures envisagées.
Un secteur opaque
Depuis 2013, l'Union européenne et ses Etats membres ont engagé des pourparlers au sein de l'OMI en faveur d'une approche fondée sur la surveillance, la notification et la vérification (MRV) des émissions. Ces règles MRV à l'échelle de l'Europe seraient la première étape vers la construction d'un système mondial de surveillance des émissions du trafic maritime.
Une fois adoptée, la proposition établirait le cadre juridique pour la collecte et la publication de données annuelles vérifiées relatives aux émissions de CO2 de tous les grands navires (de plus de 5.000 tonnes) qui visitent les ports de l'UE, quel que soit leur lieu d'immatriculation. Une mesure qui bouleverserait un secteur opaque régulièrement pointé par les ONG comme corrompu et sans loi, reposant sur les paradis fiscaux et le lobbying.
Dans une note (2) publiée le 3 avril, Transparency International souligne que la majorité (52%) des navires commerciaux est enregistrée sous les pavillons de cinq pays (Panama, Libéria, Iles Marshall, Malte et les Bahamas) qui assurent 43% du financement total de l'OMI (laquelle compte 170 membres). Ces Etats disposent d'un poids disproportionné en l'absence de tout mécanisme visant à protéger l'intégrité de son processus de prise de décision.
Une coalition en faveur d'objectifs plus ambitieux
La France, par la voix de la ministre des Transports Elisabeth Borne, a réuni à Paris le 26 mars dernier les 44 pays des cinq continents signataires de la déclaration Tony de Brum (3) (du nom de l'ancien dirigeant des Iles Marshall) annoncée lors du One Planet Summit le 12 décembre 2017. Cette coalition plaide pour un objectif de réduction des émissions de 70% à 100% d'ici 2050.
L'Arabie Saoudite a rejeté le processus, de même que le Brésil, l'Inde, les Philippines, la Corée du Sud et l'Afrique du Sud. La Chine est demeurée silencieuse. Archipel du Pacifique représentant un des premiers pavillons mondiaux par l'importance de sa flotte, les Iles Marshall se sont montrées pro-actives par la voix de leur ministre de l'environnement, Daniel Paul. Celui-ci s'est dit convaincu ''que l'argument présenté par certains que l'action climatique signifie un impact négatif sur la navigation et le commerce est complètement faux".