Un premier pas vers une meilleure connaissance des prélèvements et des consommations d'eau vient d'être réalisé à travers une analyse de France Stratégie (1) : l'institution placée auprès du Premier ministre s'est penchée sur les données disponibles pour l'année 2020 et les a ajustées (2) pour aller à un niveau plus fin que les statistiques officielles.
Résultats ? Pour ce qui concerne les prélèvements, les auteurs estiment qu'environ 31 milliards de mètres cubes d'eau douce sont extraits chaque année des lacs et rivières (à 82 %) et des eaux souterraines (18 %). Ceci hors usages hydroélectriques et départements et régions d'outre-mer (Drom). « Les prélèvements d'eau sont parfois considérés, à tort, comme sans effet dès lors que l'eau est restituée au milieu. Or, tout prélèvement, indépendamment de sa part non restituée, aura un effet sur les milieux aquatiques et les usages en aval », peut-on lire dans le rapport. Les conséquences peuvent prendre la forme de pollutions diverses, d'augmentation de la température de l'eau, de restitution dans un site différent de celui d'origine ou encore d'un décalage dans le temps du retour au milieu.
Un des premiers prélèvements serait pour alimenter les canaux, avec un volume extrait de 5,5 milliards de mètres cubes. « Ces prélèvements augmenteront du fait de la mise en service du canal Seine-Nord en 2030, soulignent les auteurs. Les fuites des canaux peuvent être importantes, de l'ordre de 25 %. »
Entre 4 et 4,4 milliards de mètres cubes prélevés pour un usage domestique
Viennent ensuite les prélèvements destinés à un usage domestique. L'institution les a estimés entre 4 et 4,4 milliards de mètres cubes. Mais les auteurs soulignent qu'il faut ajouter à ces volumes, les prélèvements via des forages domestiques, qui s'élèveraient à 200 millions de mètres cubes par an. Pour mémoire, est assimilé à un usage domestique de l'eau, tout prélèvement inférieur ou égal à 1 000 m3 par an, qu'il soit effectué par une personne physique ou une personne morale. « Cette pratique en expansion est probablement liée aux arrêtés sécheresse de plus en plus fréquents : le forage domestique permettrait, pour certains, de contourner les interdictions de différents usages (interdictions d'arrosage, de remplissage de piscine ou de lavage de voiture), projettent-il. Une première évaluation amène à penser qu'environ 1,5 million de forages domestiques pourraient être en service, ce qui correspondrait à près de 9 % des maisons individuelles, dont seulement 1 sur 50 serait déclaré ».
Le secteur agricole prélève, quant à lui, 3,3 milliards de mètres cubes utilisés majoritairement pour l'irrigation. « Les surfaces irriguées le sont d'abord pour des produits exportés, qu'ils soient à usage d'alimentation animale ou humaine (34 % des surfaces irriguées). Viennent ensuite la production d'aliments pour les animaux (28 %), puis celle pour les humains (26 %), développent les auteurs. Sous l'hypothèse que les produits ont le même usage qu'ils soient exportés ou destinés à l'usage interne, les volumes prélevés pour l'eau d'irrigation le sont majoritairement pour l'alimentation humaine (44 %), puis pour l'alimentation animale (39 %). »
Une irrigation en augmentation, notamment dans le nord
Cette irrigation est par ailleurs en augmentation, notamment dans le nord de la France (+ 78 % en Artois-Picardie) où elle reste peu présente.
Agences | Part des exploitations équipées | Surface équipée (milliers d'hectares) | Evolution des surfaces 2010-2020 |
Rhin-Meuse | 13% | 82 | 22% |
Artois-Picardie | 20% | 196 | 78% |
Seine-Normandie | 9% | 395 | 24% |
Loire-Bretagne | 16% | 890 | 22% |
Adour-Garonne | 26% | 793 | 12% |
Rhône-Méditerranée | 33% | 463 | 29% |
Corse | 46% | 21 | 49% |
Total | 21% | 2843 | 23% |
Source : France Stratégie
Concernant le secteur industriel et la construction, les auteurs estiment qu'ils prélèvent 1,8 milliard de mètres cubes dans les milieux et 0,5 milliard dans le réseau d'eau potable. Les industries chimiques, pharmaceutiques et agroalimentaires ont représenté 58 % de ces prélèvements en 2020, en France métropolitaine. Les bâtiments publics et le secteur tertiaire marchand (3) (hors loisirs) ont, quant à eux, prélevé 467 millions de mètres cubes en 2020 et les activités de loisirs (4) , 157 millions de mètres cubes.
Selon France Stratégie, ces chiffres devraient encore pouvoir être affinés. À titre d'exemple, l'institution indique que sur le bassin versant Adour-Garonne, selon qu'elles soient issues des bases de données de l'agence de l'eau ou du Registre national des émissions polluantes (IREP), les valeurs des prélèvements pour les établissements industriels ne sont pas les mêmes : 71 millions pour la première contre 76 millions pour la seconde. « Le croisement et l'interopérabilité de différentes bases de données (BNPE, OUGC, IREP, bases de données de la police de l'eau sur les ouvrages de prélèvements) apparaissent indispensables afin de constituer une base de données nationale. Celle-ci gagnerait, de plus, à inclure les prélèvements inférieurs à 10 000 m3 », notent les auteurs.
Une consommation totale de 4,4 milliards de mètres cubes
Pour ce qui est de la consommation de ces volumes prélevés, France Stratégie estime qu'elle se situait, en 2020, à plus de 4,4 milliards de mètres cubes. « Les stockages d'eau artificiels − hydroélectricité, retenues agricoles, plans d'eau d'agrément, etc. − ne sont aujourd'hui pas considérés comme consommateurs, rappelle France Stratégie. Une première estimation du phénomène d'évaporation montre que ces stockages pourraient engendrer des consommations de l'ordre d'un milliard de mètres cubes par an, élevant donc la consommation annuelle à 5,4 milliards de mètres cubes. » Estimation de consommations : comment ça marche ?
Comment passer des prélèvements à une estimation des consommations ? Pour approcher de la réalité, le Service des données et études statistiques du ministère de la Transition écologique utilise des facteurs de consommation (part de l'eau qui est évapotranspirée ou incorporée) appliqués au volume prélevé pour les différents usages : eau potable, industrielle, agricole ou énergétique. À noter : pour l'instant, la consommation des canaux est considérée comme nulle.
France Stratégie a formulé des estimations alternatives en prenant en compte notamment la littérature scientifique. Il propose ainsi un facteur de consommation des réseaux d'eau de 12 % (contre une convention appliquée aujourd'hui de 20 %), de 100 à 20 % selon le système d'irrigation utilisé, entre 8 et 27 % selon l'activité industrielle (contre 7 % aujourd'hui), et de 0,3 % pour les canaux.
Le premier consommateur reste l'irrigation agricole qui représente près des deux tiers (irrigation des cultures principalement concentrée dans le sud et l'ouest de la France). « En France, l'impact de l'utilisation de l'eau est plus important en période estivale (de juin à août), principalement du fait des besoins d'irrigation, note France Stratégie. D'après le Sdes, les consommations en eau [à cette période] représenteraient alors environ 60 % du total annuel, tandis que l'eau douce qui transite dans les cours d'eau correspond à seulement 15 % du volume annuel. »
D'une manière plus globale, le service du Premier ministre souligne qu'une étude plus approfondie des dynamiques saisonnières est nécessaire, compte tenu de la grande variabilité des volumes d'eau disponibles et de la demande en eau au cours de l'année.
« Dans le futur, la ressource en eau est appelée à évoluer du fait du changement climatique, et la demande à varier en fonction des dynamiques démographiques et des politiques de décarbonation et de réindustrialisation, pour n'en citer que quelques-unes, souligne France Stratégie. La question de l'eau devra être mieux prise en compte dans l'élaboration des différentes politiques publiques et dans leur territorialisation. C'est dans cet objectif qu'un travail prospectif sous différents scénarios d'usage, et sous différents scénarios climatiques, est en cours. Ce travail, qui aboutira au deuxième semestre 2024, permettra d'identifier les territoires et les périodes où des conflits d'usage pourront potentiellement advenir. »