« Nous sommes à un carrefour : soit l'économie française pivote et se transforme sur la base d'une nature respectée, protégée et restaurée, soit notre économie s'expose à un risque d'effondrement », prévient Sarah El Haïry. La secrétaire d'État à la Biodiversité a lancé ce mercredi 29 novembre, devant un parterre de quelque 150 représentants d'entreprises, la première édition du « Roquelaure Entreprises et Biodiversité ». Cet événement intervient deux jours après la présentation par le Gouvernement de la nouvelle stratégie nationale pour la biodiversité destinée à « stopper, puis inverser en une décennie, l'effondrement du vivant ».
« Avec la moitié du PIB mondial reposant sur des services rendus gratuitement par la nature, les entreprises sont particulièrement exposées aux risques liés à la disparition du vivant, rappelle le ministère de la Transition écologique. Rupture des chaînes d'approvisionnement, perte de chiffre d'affaires, hausse des coûts de production : les enjeux financiers et économiques sont importants. Pourtant, trop d'entreprises sont encore aveugles à ces risques qui pèsent sur la viabilité de leurs modèles d'affaire ».
C'est donc en vue d'accélérer la prise de conscience des acteurs économiques que la secrétaire d'État lance cette initiative. Une initiative basée sur le volontariat. « J'ai confiance dans le monde économique pour qu'il se transforme lui-même », explique Sarah El Haïry, rejetant l'idée de nouvelles réglementations et optant pour une approche plus libérale que certains de ses interlocuteurs, dirigeants d'entreprises. « Nous avons aussi besoin de faire évoluer le cadre réglementaire et fiscal », estime ainsi Pascal Demurger, directeur général de la Maif, qui se positionne en faveur d'une conditionnalité des aides publiques et d'un système d'incitation fiscale. « Je suis pour de la réglementation avec de vraies règles de compétition au niveau international », appuie Marie-Claire Daveu, directrice du développement durable et des affaires institutionnelles du Groupe Kering.
Pilotes des huit groupes de travail
Agroalimentaire
- Bertrand Swiderski, directeur développement durable, Groupe Carrefour
- Sylvie Borias, directrice de l'engagement & de la RSE, Groupe Bel
Bâtiment/construction
- Fabrice Bonnifet, directeur développement durable/environnement, Groupe Bouygues
- Emmanuel Normant, directeur du développement durable, Saint-Gobain
- Gilles Vermot-Desroches, directeur du développement durable, Schneider Electric
Cosmétique
- Hélène Valade, directrice développement environnement, Groupe LVMH
- Hervé Navellou, directeur général, L'Oréal France
Énergie
- Sylvie Jehanno, présidente-directrice générale, Dalkia
Matériaux
- Antoine Sautenet, directeur du développement durable, Groupe Michelin
- Virginie de Chassey, directrice du développement durable et de l'engagement d'entreprise, Eramet
Textile
- Marie-Claire Daveu, directrice du développement durable et des affaires institutionnelles, Groupe Kering
Financement
- Antoine Sire, directeur de l'engagement d'entreprise, Groupe BNP Paribas
- Philippe Zaouati, directeur Général, Mirova
- Ulrike Decoene, directrice de la communication, de la marque et du développement durable, Groupe AXA
Gouvernance
- Romain Mouton, président du Cercle de Giverny
Prise de conscience toute récente
« L'enjeu est une prise de conscience en premier lieu », estime Sarah El Haïry. Une prise de conscience qui apparaît en effet toute récente pour les entreprises, si tant est qu'elle soit réalisée. « Le sursaut a commencé lors de la COP 15 avec une présence remarquée des entreprises, notamment françaises », relève le ministre de la Transition écologique, Christophe Béchu. Si des initiatives ont été lancées dans le passé, elles n'ont en effet pas réussi à fédérer un nombre important d'acteurs. C'est le cas de l'initiative Engagés pour la nature, lancée par l'Office français pour la biodiversité (OFB) en octobre 2020 et qui fédérait trois actions dont Act4Nature lancé en juillet 2018. Elle fédère aujourd'hui moins de 200 entreprises. « Un bilan très modeste », reconnaît Christophe Viret, directeur de la mobilisation de la société à l'OFB.
La tardiveté de la prise de conscience apparaît au grand jour avec les déclarations de Pascal Demurger, censé, parmi les dirigeants d'entreprises, être en pointe sur les enjeux sociaux et écologiques. « Il n'y a pas de Greta Thunberg de la biodiversité, il n'y a pas d'Affaire du siècle de la biodiversité, il n'y a pas de marches pour la biodiversité. L'accord de Kunming-Montréal a été signé en 2022, sept ans après l'Accord de Paris », a relevé le directeur général de la Maif. Le coprésident du Mouvement Impact France semble donc ignorer que les États membres de la convention sur la diversité biologique s'étaient déjà dotés d'un cadre mondial pour la biodiversité en 2010, dont aucun des objectifs n'a été atteint. Pas plus qu'il ne semble avoir connaissance du jugement du tribunal administratif de Paris du 29 juin dernier, qui a reconnu la responsabilité de l'État dans l'effondrement de la biodiversité du fait de ses manquements en matière de gestion des pesticides et lui a enjoint de réparer le préjudice écologique en résultant.
Reste à voir si cette nouvelle initiative sera plus fructueuse que les précédentes. Elle pourrait l'être car les entreprises sont maintenant contraintes par… la réglementation : elles doivent intégrer désormais la biodiversité dans leur reporting extra-financier conformément à la directive CSRD. Mais elles commencent aussi à ressentir sérieusement les contraintes physiques de la crise écologique. Et si le business est touché, la prise de conscience va s'accélérer très rapidement.