Le Code de la santé publique pose le principe de l'interdiction d'utilisation de substances contaminées provenant d'une activité nucléaire dans les biens de consommation ou les produits de construction. Mais cette interdiction n'est pas absolue. Une possibilité de dérogation était déjà prévue mais ne permettait pas de répondre à tous les cas de figure. Le gouvernement a publié, le 15 février, au Journal officiel, un nouveau dispositif réglementaire, composé de deux décrets et d'un arrêté, qui autorise à déroger à cette interdiction afin de pouvoir valoriser des déchets radioactifs métalliques de très faible activité (TFA).
Ce dispositif fait suite à une décision de la ministre de la Transition écologique et du président de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN), en date du 21 février 2020, consécutive au débat public relatif au cinquième Plan national de gestion des matières et déchets radioactifs (PNGMDR). Cette décision prévoyait que le gouvernement ferait évoluer le cadre réglementaire applicable et que le PNGMDR formulerait des recommandations relatives à la mise en œuvre des dérogations.
« Dose 100 fois inférieure à la valeur autorisée pour le public »
Un décret en Conseil d'État fixe le cadre réglementaire de ces dérogations via une modification du Code de la santé publique et du Code de l'environnement. Il prévoit que les dérogations soient prises par arrêté ministériel, après consultation du public et avis de l'ASN, à la suite de l'instruction d'un dossier de demande. Un décret simple précise que sont concernées par cette possibilité de dérogation « les substances métalliques qui, avant leur usage dans une activité nucléaire, ne justifiaient pas un contrôle de la radioprotection ».
L'opération de valorisation devra être réalisée dans une installation classée (ICPE) ou une installation nucléaire de base (INB). « Concernant le procédé, la fusion des métaux entraîne la récupération d'un laitier (substances radioactives issues du processus) et la production de lingots de métal. Les lingots rejoindront une filière conventionnelle, moyennant le fait que leur activité conduise à une dose ajoutée inférieure à 10 μSv par an. Cette dose est 100 fois inférieure à la valeur autorisée pour le public », a expliqué Benoît Bettinelli, rapporteur des projets de textes devant le Conseil supérieur de la prévention des risques technologiques (CSPRT), lors de sa séance du 10 mars 2021. Le décret en Conseil d'État fixe les valeurs limites pour les différents radionucléides que les produits résultant de la valorisation ne doivent pas dépasser pour pouvoir bénéficier de la dérogation.
Justifier qu'il existe une demande
Deux autres garanties sont apportées par le dispositif, a précisé le ministère de la Transition écologique lors de la mise en consultation des projets de textes en janvier 2021. Il s'agit, d'une part, de la mise en place de contrôles systématiques et redondants en sortie d'installation et, d'autre part, de la maîtrise de la traçabilité des métaux après leur cession par l'exploitant de l'installation de valorisation.
Le décret en Conseil d'État prévoit que, lorsque la dérogation est accordée, les produits résultant de l'opération de valorisation ne sont plus des substances radioactives et ne justifient plus de contrôle de radioprotection. À condition toutefois que les produits soient effectivement valorisés dans des conditions conformes à celles prévues par la dérogation, a également fait ajouter le CSPRT.
« Ouvrir la boîte de Pandore »
Plusieurs représentants d'ONG avaient fait part de leurs critiques sur le projet lors du CSPRT. « France Nature Environnement est radicalement opposé au seuil de libération, et ce malgré les précautions prévues, avait ainsi déclaré Maryse Arditi, chargée des questions nucléaires au sein de la fédération d'associations. « Ces produits peuvent rentrer directement dans la filière nucléaire, mais ne doivent pas en sortir. La confiance dans l'industrie nucléaire et dans sa capacité de contrôle a, en outre, été ébranlée de manière pérenne par des situations telles que celle de Framatome. Le personnel n'est pas présent en nombre suffisant pour assurer un contrôle rigoureux d'une telle démarche à l'ASN et à l'Inspection des installations classées », a pointé la représentante de FNE.
Le ministère met, quant à lui, en avant le « bénéfice environnemental » de l'usage de matières libérées. « Elle repousse la saturation du stockage et (…) permet la réutilisation de métaux dans une logique d'économie circulaire », explique-t-il. Dans les faits, la fixation d'un seuil de libération permettant de faire sortir des déchets TFA du statut des substances radioactives résulte plus de la saturation des capacités de stockage des déchets que d'une demande en matériaux recyclés. « Le tonnage national des TFA dont la gestion devra être assurée peut être estimé, sur la base du parc actuel, à environ 2,5 millions de mètres cubes », a précisé Marc Denis, représentant au CSPRT du Groupement des scientifiques pour l'information sur l'énergie nucléaire (GSIEN). Le débat public sur le PNGMDR avait effectivement mis en lumière la croissance attendue du volume des déchets liée au démantèlement de la centrale nucléaire de Fessenheim, qui viendra s'ajouter à celui de l'usine d'enrichissement d'uranium Eurodif (Drôme) et des réacteurs de recherche du CEA à Grenoble. Et ce, alors que le seul centre de stockage de déchets TFA en France, situé à Morvilliers (Aube), devrait arriver à saturation en 2025, selon l'Agence nationale de gestion des déchets radioactifs (Andra).
« L'ouverture de la "valorisation" aux déchets métalliques pourrait ouvrir la porte à celle des autres matériaux classés comme TFA (béton, gravats, etc.) », a expliqué Marc Denis, qui craint un effet « boîte de Pandore » avec l'adoption de cette réglementation. Les ONG craignent qu'elle ouvre la porte à l'importation de déchets en provenance de toute l'Europe. « La réflexion sur la valorisation provenant des 130 000 ou 140 000 tonnes d'acier contaminé du démantèlement de l'usine Georges-Besse, au Tricastin, a soulevé de nombreuses inquiétudes, alors qu'il s'agissait pourtant d'un lot homogène, a témoigné Jacky Bonnemains, représentant de l'association Robin des bois au CSPRT. « L'alimentation de l'unité de "valorisation", qui semblait initialement être focalisée sur des déchets français et homogènes, s'est par ailleurs ouverte à un "vrac métallique" de déchets hétérogènes en provenance de pays européens. En effet, les exploitants – EDF notamment – ont émis l'idée d'importer du "vrac métallique" afin de rentabiliser l'opération », a dénoncé le représentant de l'ONG.
À la suite de ces remarques, l'arrêté publié indique également que la demande de dérogation doit préciser la stratégie de contrôle avant l'entrée sur le territoire national s'il est envisagé de réaliser l'opération de valorisation sur des substances provenant de pays tiers. L'avenir nous dira si l'instauration de cette possibilité de valorisation était pertinente et son encadrement réglementaire suffisant.